«Le seul moyen de ne pas rentrer dans les brumes de la psychose c’est la créativité.»
Cathy, Référente des artistes au sein de l’Hôpital
La maladie mentale m’intriguait. Les préjugés qui l’accompagnaient depuis des années, notamment ceux que j’avais pu entendre, m’ont poussé à ouvrir les portes d’un “asile”. Je souhaitais passer du temps auprès de patientset de soignants, afin d’éclaircir de nombreux questionnements personnels. Je me suis rendu au Centre hospitalier Buech Durance de Laragne, afin de travailler auprès des patients de psychiatrie, de gérontopsychiatrie, ainsi que de certains patients d’Ehpad et d’addictologie...
J’y ai déambulé, passé de riches moments à discuter avec les “habitants” de l’hôpital et essayé de ressentir le plus profondément possible, l’énergie qui se dégageait de ces lieux. J’ai partagé ces instants de la vie quotidienne imprégnés de l’atmosphère médicale, ai assisté à différents types d’ateliers, y ai proposé des temps de rencontre, d’échange et de co- création. En dehors des ateliers de transmission et de création formelle, je naviguais à la “Cafét”, un espace de sociothérapie où les patients de toutes les unités de l’hôpital peuvent se croiser, partager un temps s’ils le souhaitent, ou bien entreprendre une plongée solitaire dans leurs univers singuliers. Mon objectif final a été de retranscrire, à travers images et mots, les maintes sensations et émotions qui m’ont parcouru pendant ces semaines d’immersion.
Mon approche photographique tente ainsi de nous faire voyager dans ces “Zones” aux réalités multiples où le réel se confronte perpétuellement à la fiction. La plus grande difficulté de ce travail était de montrer l’invisible, c’est pour cela que j’ai fait le choix de passer par des citations, des mots, que certains d’entre eux m’ont confié, et des pensées qui m’ont traversé lors de ce séjour à l’inégalable intensité. Je me suis beaucoup appuyé sur l’importance du lien avec la nature qui est offert par le cadre de l’hôpital, dont l’architecture et l’environnement ont, en eux, une aura très singulière, et j’ai pu de ce fait constaté, que la particularité de cette structure donnait aux patients une certaine liberté de déambulation au sein de ses différents espaces.
Le vocabulaire psychiatrique est très complexe, les utilisations courantes de tout ce lexique rattaché à la maladie mentale, ne sont que trop rarement bien utilisé. La subtilité de tous ces savoirs psychiatriques, m’a conduit à faire le choix de n’avoir aucun à priori sur les êtres que je côtoyais. Je ne savais rien d’eux hormis qu’ils étaient là. Certaines choses se
devinent, certaines fois, les gens les expriment, et d’autres fois un flou règne et cela ne pose aucun problème car heureusement pour eux, je n’appartiens pas au corps médical.
La majorité des patients en crise psychique ne peuvent pas être reconnus, d’autres ne le souhaitent tout simplement pas. J’ai donc travaillé autour de la suggestion et de la fragmentation des corps et des esprits, dans divers espaces. J’ai surtout tenté de comprendre les subtilités des regards, des langages, des gestes et des bruits qui se diffusaient dans l’air. Tous les sens en alerte, je rencontrais et parcourais ces mondes inconnus et multiples qui m’étaient offerts.
“Les soignants n’ont plus le temps.”, cette phrase tant attendue peut sembler tragique car le “temps” est l’élément le plus important dans le soin et la relation aux patients. Il permet de créer des liens, de libérer les paroles, les regards ainsi que d’atténuer les appréhensions face à l’étrange et à l’étranger. J’étais cet étranger, qui souhaitait découvrir tous ces univers intérieurs et y ai passé un temps court mais riche. Une expérience que je désire renouveler.
Mon objectif final ne serait-il pas, de simplement faire des images qui leur feront du bien ?
“ J’étais partis pour m’en aller de l’autre côté avec ma voiture, mais je n’ai soudainement plus eu d’essence, et j’ai du m’arrêter. Je me suis dit que ça devait être un signe de la destinée.”
André
Au matin les sirènes résonnent encore à des kilomètres, des gens parlent d’incendie, ce n’était qu’un être en pleine folie qui souhaitait se faire entendre et a tenté de mettre le feu à son lit.
“J’aimerais qu’avec ton âme d’artiste tu tentes de capter la beauté de ces paysages.”
Jonathan
“C’est mon fils qui m’a fait interner parce que j’étais dans le refus de la mort de mon mari.”
Josiane
“Il faudrait mettre des champignons hallucinogènes dans les appareils photo pour booster leur créativité.”
Yann
“Certains patients passent par là pour contourner l’entrée et aller en ville boire une bière.
Mais ça va une bière ce n’est pas grave!”
Fabienne
“Ce n’est pas beau d’avoir des angoisses tout le temps dans la tête parce que parfois ça explose.”
Christian
“Je tremble comme un âne depuis que je prends des calmants, ils me permettent de dormir mais j’en oublie mes souvenirs et mes pensées et je n’arrive même plus à écrire mes rêves entre les lignes de mon carnet.”
René
“Avare de sourires, ils me prirent pour un fou.”
Adrien
“Avant j’étais vendeuse de produits ménagers à Laragne et je passe désormais mes dernier jours près de l’endroit où j’ai toujours vécu et où j’ai tant travaillé.»
Annah
“Je rêve que les gens réussissent à communiquer malgré leurs différences parce que j’ai connu la solitude et c’est triste, ça me retourne.»
Eliane
"Je suis né à l’hôpital d‘Argenteuil puis y ai travaillé en tant qu’aide soignante pour les personnes âgées. J’aimais m’occuper d’eux, leur parler et répondre à leurs questions. (...)
Les larmes qu’ils avaient dans les yeux je les avaient dans les miens. Je ressentais ce qu’ils ressentaient. (...)
Maintenant il n’y a rien de plus beau que les gens qui m’aident. Je retombe dans mon univers."
Arlette
Le silence est peut-être notre plus beau dialogue.
“Tu ne trouveras jamais ce que tu veux dans la lumière.”
Sheriffé
“Le fou est celui qui perd le sens de la réalité.”
Fabienne
“Fais attention parce qu’on m’a dit que c’était les artistes les plus fous et j’en ai rencontré beaucoup des artistes.”
Christian
Pourquoi s’essouffler à faire des images pour tenter de montrer ce qui est invisible ?
Je clique et dérange les regards, les silences et l’introspection.
Je «déclic» et me range dans la simple observation.
“Ce que j’aimerais dire aux gens, c’est que ça pourrait être vous et vous en seriez fous.”
Georgette
Ce projet a été mené dans le cadre l’appel à projet «L’été culturel 2023» financé par la Direction Régionale des Affaires Culturelles PACA
Il a été porté par le Centre Hospitalier Buëch Durance à Laragne Montéglin en partenariat avec le Parc naturel régional des Baronnies provençales.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont rendu ce projet possible tant les soignants, les patients que l’ensemble de l’équipe de l‘hôpital:
Cathy, Alexandre, Marion, Joseph, Ivan, Georgette,Corine, Marc, Myriam, Romain, Djamal, Yann, Samir, Julien, Sylvie, Ahmed, Hervé,Henry, Marion,Adrien, Fabienne, Anna, Christia, Jonathan, Shériffé Pierre, Nico, Cécile, Mehdi, Romain, Benjamin, Christian, Thierry, Mickaël, James, André, Jacques, Christophe, Véronique, Cassandre, Florence, Nathalie, Juliette, Éliane, Annah, Arlette, Pierre-Michel, Malicka, Maxime, Jeanne, Philippe, Martine, Marie, Serge, René, Sarah, Jérémy, Odile, Emmanuelle, Véronique, Clara, Audrey, Célia, Isabelle, Chacha, Marion, David, Isabelle, Matthieu, Sylvie, Marie Pierre, Caroline, Sylvain, Marie-José, Danielle, Bernad, Nathalie, Michelle, Héléna,